Le peintre triste qui rend heureux


Une exposition à Bâle

1. Jeudi 18 juin 2020, Riehen (Suisse). Deux amis discutent à voix basse en déambulant dans un musée. Ils se sont retrouvés pour admirer la nouvelle exposition de peinture proposée par la Fondation Beyeler.
«- Ces tableaux me rendent triste! Regarde les personnages comme ils ont l'air de s'ennuyer, là, tout seuls. Ils sont comme enfermés dans leur solitude.
- Tu as raison, mais en même temps, toute cette solitude a quelque chose qui me touche profondément. Pas toi ?
- Tu dois avoir raison car moi aussi, cette peinture m'émeut …»

La passion des bateaux

2. Qui est le peintre qui provoque cette discussion profonde sur la solitude entre les deux amis ? C'est un américain. Il s'appelle Edward Hopper. Il est né en 1882 dans la petite ville de Nyack sur les bords de l'Hudson, au nord de New York. Le jeune Eddie a une chambre qui donne sur le fleuve. De là, il contemple les bateaux à voile qui passent sous sa fenêtre. Il est fasciné. C'est décidé, quand il sera grand, il sera architecte naval. En attendant, il les dessine.

Illustrateur

3. Il les dessine si bien que ses parents l'envoient à New York à la New York School of Art pour apprendre le métier d'illustrateur. Edward accepte mais il est quand même un peu déçu. Il aurait préféré étudier la peinture. La chance va sourire au jeune Hopper sous la forme d'un voyage en Europe. Destination Paris, puis Amsterdam. A Paris, Edward découvre la peinture impressionniste. Il est particulièrement attiré par les œuvres de Degas dont il admire la qualité du dessin. A Amsterdam, il découvre les grands maîtres de la peinture hollandaise du 17ème siècle comme Rembrandt et Vermeer.

Jo

4. En 1908, Hopper s'installe à New York. Il y résidera jusqu'à sa mort en 1967. Il gagne sa vie comme illustrateur car ses peintures ne se vendent pas. En 1910, il rencontre Joséphine, une jeune peintre comme lui et c'est le coup de foudre. Il l'épouse. Jo (comme Hopper l'appelle) va jouer un rôle important. Elle sera son modèle mais aussi sa meilleure conseillère.

Aquarelles

5. Elle le pousse en particulier à faire des aquarelles. Cette fois-ci, le succès est au rendez-vous. Hopper attire l'attention des galeristes et commence à bien vendre sa peinture. Il est maintenant libre de peindre et peut abandonner son métier de dessinateur de publicités.

New York

6. Hopper dessine avec une minutie extrême des croquis de tout ce qu'il voit autour de lui dans ce New York de la première moitié du 20ème siècle: des trains et des gares, des restaurants et des cafés, des halls et des chambres d'hôtel, des stations services et des garages. Puis, de retour à son atelier, il convertit ses croquis en tableaux peints à l'huile.

Peinture d'atmosphère

7. Ce qui compte pour Hopper, c'est moins le sujet que l'atmosphère qui se dégage de ses œuvres. Il a un secret qu'il a emprunté aux grands maîtres hollandais du 17ème: l'étude de la lumière. Hopper s'inspire de la technique de la fenêtre, chère à Vermeer, consistant à placer ses personnages devant une fenêtre éclairée.

Nighthawks

8. Il joue aussi avec les lignes géométriques et les couleurs. Son tableau Nighthawks, peint en 1942, est devenu très célèbre à cause de cela: un éclairage très spécial et une perspective où les tabourets du restaurant sont en alignement avec les lignes du bâtiment. A l'intérieur, des clients fatigués qui semblent s'ignorer et un serveur. Un résumé de l'œuvre de Hopper avec ces personnages solitaires qui nous touchent tellement comme l'ont ressenti les deux amis visitant l'exposition à la Fondation Beyeler. Sans doute est-ce pour cette raison que ce peintre triste nous rend heureux.