1. « Le camarade Malevitch est un peintre petit bourgeois qui se moque des travailleurs. Ses croix noires sur fond blanc ou, pire, ses carrés blancs sur fond blanc, sont une insulte à la cause socialiste. Il faut d'urgence arrêter ce scorpion qui ternit la réputation de notre grande révolution. » Si les mots de cette violente accusation sont inventés, celle-ci a bien eu lieu et probablement dans des termes aussi violents. Qui est ce « camarade Malevitch » ?
2. Nous sommes en 1929, en URSS , la nouvelle appellation de l'empire russe. Une révolution a en effet eut lieu en 1917 et tout a été changé, y compris le nom du pays. Pour obliger les gens à obéir aux nouveaux maîtres révolutionnaires, un régime de terreur a été mis en place et tous ceux qui ne soutiennent pas le nouveau régime sont impitoyablement arrêtés, torturés et souvent exécutés.
3. Casimir Malévitch est de ceux-là. C'est un peintre d'origine polonaise, né en 1878 à Kiev, en Ukraine. Il vient d'une famille aisée car son père est propriétaire d'une usine de betteraves à sucre. Il est doué pour le dessin. Malheureusement pour lui, son père refuse de l'envoyer dans une école d'art et à cette époque, l'autorité du père était absolue. Il ira bien dans une école mais pour apprendre le dessin industriel. A sa sortie, Malevitch commence donc sa vie professionnelle en dessinant des pièces pour construire des trains.
4. Mais en 1902, son père meurt et Malevitch va enfin pouvoir s'adonner à sa vraie passion, la peinture. Il s''inscrit dans une école d'art. Un monde nouveau s'ouvre pour le jeune Casimir. Il découvre avec ravissement les peintres impressionnistes français comme Claude Monet. Il suit de près la révolution cubiste de Picasso. Enfin, il fait la connaissance de son compatriote Vassily Kandinsky qui, en Allemagne, expose les premières œuvres abstraites de l'histoire de la peinture.
5. Malevitch est fasciné par tous ces maîtres de la peinture et il les imite. Ses premières toiles sont impressionnistes à la manière de Monet, cubistes façon Picasso et abstraites comme celles de Kandinsky. Mais Malevitch veut aller plus loin dans la déconstruction des couleurs et du mouvement. Il réfléchit à une nouvelle théorie de la peinture et cherche à entraîner d'autres artistes.
6. Le 19 décembre 1915, en pleine Première Guerre Mondiale, Malevitch présente le résultat de ses recherches: Trente neuf peintures composées uniquement de formes géométriques sur un fond uni. La plus célèbre est un Carré noir sur fond blanc. Malevitch baptise ce nouveau style « suprématisme », du latin supremus qui signifie au-dessus de tout. Sa petite révolution artistique fait scandale. Mais Malevitch persiste et qualifie ceux qui le critiquent de «trouillards» .
7. Deux ans plus tard, en 1917, alors que l'empire russe est sur le point de s'effondrer sous les coups de l'armée allemande, la révolution éclate. Malevitch pense que c'est une chance pour lui et il soutient le mouvement. Il exécute une série de panneaux explicatifs à la gloire de la révolution. Le nouveau régime a besoin d'artistes. Malevitch obtient un poste d'enseignant à Moscou. C'est la gloire !
8. Mais en 1924, à la mort de Lénine, le chef de la révolution russe, Staline prend le pouvoir. Il n'aime pas le suprématisme de Malevitch. Il veut un art réaliste à la gloire de l'Union soviétique. Malevitch est arrêté. Pour échapper à la mort, il promet de produire un art différent. Ses derniers tableaux (il meurt en 1935) ne sont plus abstraits mais représentent des paysans ou des ouvriers.